Eclats de Rêve

Elle posa sa main sur la vitre, comme s’il s’agissait d’un trésor précieux. Pourtant celle-ci n’était pas des plus propres, et en plissant les yeux, on pouvait même apercevoir  la crasse accumulée par des centaines et des centaines d’empreintes de doigts. Les traces de mains semblaient avoir toutes la même taille, celle d’un enfant. Mais comment imaginer des gamins venir jour après jour s’appuyer contre la devanture, tel un lieu de pèlerinage ?

La petite répétait sans le savoir, le même geste qu’avait eu beaucoup d’autres avant elle. Ainsi, ignorant  la saleté, elle avait collé son visage contre la vitrine, complétement fascinée. L’éclat de ses yeux rappelait celui qu’on trouve dans le regard des rêveurs de drogue douce, et ses traits demeuraient immobiles. Toute son attention n’était plus que dirigée vers le spectacle qui lui faisait face.

 Car dans cette rue de la vieille ville, connue pour son activité commerçante,  la gourmandise semble être réunie dans une unique boutique. Ainsi, derrière la vitre,  les formes et les couleurs se mélangeaient et se déclinaient en un nombre infini de possibilités. Des bâtons d’émeraude à l’Angélique côtoyaient les bergamotes ambrées, les caramels au beurre salé guerroyaient contre ceux de Normandie, chacun arborant papiers dorés et nœuds de velours. Les pâtes de fruits chantaient les louages du coing et de la cerise, et les nougats de Montélimar à l’apparence si crémeuse gâtaient les yeux. Le sourire blanc et poli du calisson voisinait les petits coussins gonflés des Bêtises. La praline à l’amande goûteuse et les marrons glacés restaient entre classiques, tentant de garder leur sérieux devant la délicatesse bourgeoise du sucre d’orge. Les berlingots aux côtes enflées roulaient et dévalaient le présentoir, montrant leurs rayures colorées à qui voulaient bien les voir. Sur les côtés, les plus petites sucreries peinaient à se faire de la place, craignant de briser pétales cristallisées et grains d’anis.

 Scène quasi irréaliste qui se jouait là, s’amusant de l’imagination et de l’avidité de la petite. Dieu, qu’elle aurait voulu que tout ça lui appartienne ! Elle aurait parsemé sa chambre de sucre, et y aurait plongé ses mains avides. Fermant les yeux, elle imagina le goût de chacune des friandises qu’elle laisserait d’abord fondre sur sa langue, profitant au maximum des saveurs, avant de les avaler avec un frisson de plaisir.

Un bonheur qui demeurait inatteignable, car la boutique ne semblait pas ouverte. Et cela même, comment aurait-elle pu payer cette fortune de bonbons ? Elle commençait à bien connaître les adultes, et devinait que ceux qui lui tenaient lieu de parents, dans leur sérieux si morne, ne seraient pas d’accord. Aussi ce fut dans un soupir que l’enfant rouvrit les yeux. Elle recula de quelques pas, le regard toujours fixé sur la vitrine.

Elle ferait mieux d’abandonner ce rêve stupide et de rejoindre sa mère. Pourtant, l’injustice de la situation la contrariait. Si les enfants ne peuvent pas y goûter, autant ne pas les exposer à la vue de tous. C’est cruel, c’est méchant, c’est ignoble, se répétait-elle avec indignation.

La fillette n’était pas connue auprès de sa gouvernante comme une enfant obéissante. Elle ne souhaitait d’ailleurs jamais l’être. Aussi, ce fut tout naturellement qu’elle se promit  de faire tout ce qui lui serait possible pour avoir, un jour, ces sucreries. Peu importe le prix, peu importent les sacrifices. A ses jeunes yeux, ils ne seraient pas importants. Seul comptait le plaisir du palais.

Elle sourit, fière de cette résolution solennelle, puis s’en alla, sa robe voltigeant à chacun de ses pas.

Sans se douter qu’elle ne reviendrait plus jamais devant la vitrine.

Sans se douter qu’elle regretterait un jour le facile émerveillement, le simple bonheur de l’enfance.